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Expertise technique, expertise de la valeur

ANIL, Habitat actualité, septembre 1999
Etude réalisée avec le concours de l'Observatoire des Pratiques du Conseil National de l'Habitat


Le cadre des ventes de logements en France offre l'image paradoxale d'une multiplicité de normes, associée à une absence totale d'information sur l'état du logement et sur sa valeur de marché.

L'information du consommateur sur la qualité du logement dont il se porte acquéreur n'est obligatoire que pour quelques éléments, la surface, depuis la loi CARREZ et l'état sanitaire concernant l'amiante, le radon, le saturnisme et les termites, depuis une date récente. Pour le reste, il est aisé de s'exonérer de toute obligation d'information sur l'état du logement, dès lors que l'on écarte le recours aux prêts réglementés. Or une part croissante des opérations les plus sociales se réalise dans l'ancien ; ceci justifie un effort de protection du consommateur, qui, s'il était généralisé, ne serait pas coûteux.

La question se pose également de l'expertise de la valeur : les prêteurs français, qui concentrent prioritairement leur attention sur la solvabilité de leurs emprunteurs, sont parmi les seuls à ne pas exiger d'expertise pour accorder un prêt hypothécaire. Elle serait d'ailleurs d'une mise en œuvre délicate pour ce qui concerne le marché de la maison individuelle neuve où s'observent les phénomènes de " negative equity " les plus pénalisants. Plusieurs facteurs remettent cependant l'expertise à l'ordre du jour :

  • une rotation des biens qui a toutes chances de s'accélérer : flexibilité du marché du travail, plus grande mobilité géographique et fragilité des cellules familiales se traduiront par des reventes précoces de plus en plus fréquentes.
  • des mouvements de valeurs qui gagnent en amplitude et qui pourraient se rapprocher de ce qui prévaut dans les pays anglo-saxons.
  • l'introduction de nouveaux instruments de refinancement, titrisation ou obligations foncières : les porteurs de " MBS/mortgage backed securities " ou d'obligations foncières, souhaiteront être rassurés sur la qualité des biens qui garantissent leurs créances.

C'est pourquoi il est intéressant de porter le regard sur la pratique américaine, qui associe une proportion très élevée de propriétaires occupants, une forte rotation du parc et un marché totalement contrôlé par les agents immobiliers.

Une protection du consommateur fondée sur la transparence de l'information : la pratique des Etats-Unis.

La logique de protection du consommateur repose essentiellement sur la qualité et la sincérité de l'information et sur l'interdiction du mélange des genres.

Les règles les plus importantes, mises à part celles qui concernent la lutte contre la ségrégation ethnique, prennent la forme des " disclosure acts " : ces textes listent les informations qui doivent obligatoirement être portées à la connaissance des parties.

La responsabilité d'un vendeur pourrait être mise en cause s'il était convaincu de n'avoir pas communiqué à l'acheteur un élément connu de lui sur l'état du bien vendu.

Ceci suppose une séparation étanche entre les différents métiers qui prennent part à la transaction immobilière : agent immobilier représentant l'acheteur, agent immobilier représentant le vendeur, expert chargé de l'appréciation de la valeur de revente, expert pour la qualité technique, courtier en crédit… Le versement de commission entre eux est strictement interdit. La loi proscrit la confusion des rôles. Les différents professionnels rencontrés à l'occasion d'une vente peuvent se réunir au sein d'un même groupe, mais chaque intervention doit faire l'objet d'un contrat spécifique avec une personne distincte. Entre chacune des fonctions sont établies des cloisons étanches.

Un recours systématique à l'expertise technique et à l'expertise de la valeur.

Sans que cela résulte d'une obligation légale, la quasi-totalité des transactions donne lieu à une expertise de la valeur et à une expertise technique de l'état du logement. Leur objectif est parfaitement distinct : l'expertise de la valeur est destinée au prêteur, et le cas échéant au porteur de MBS, elle a pour seul objet de garantir la valeur de la créance ; l'expertise technique protège l'acheteur et lui permet d'évaluer le montant des travaux éventuellement nécessaires.

Le coût de l'expertise de la valeur est de l'ordre de 250 $ pour une maison individuelle. Cette expertise n'est en aucune manière un instrument de protection du consommateur. Dans l'hypothèse où la valeur déterminée par l'expertise serait très inférieure au niveau auquel s'est établi la transaction, le particulier pourrait se dégager si le prêt lui était refusé : comme la fiscalité incite les particuliers à recourir à des quotités de prêt élevées, le banquier pourrait juger trop élevé le rapport entre le montant de l'endettement et la valeur du gage. On note d'ailleurs que, dans la conjoncture actuelle, la bonne santé du marché immobilier conduit certains prêteurs à s'interroger sur la nécessité d'une expertise en bonne et due forme : la hausse des prix entraîne une diminution du rapport entre le montant du prêt et la valeur du gage plus rapide que celle qui résulte du seul rythme de l'amortissement. Des réflexions sont en cours sur la possibilité de procéder à une " expertise automatique " à distance, par simple rapprochement entre les caractéristiques du logement, sa situation et les données accumulées lors des ventes précédentes par les agences de titrisation. Il est vrai qu'existent sur les prix des banques de données de bonne qualité et que le marché donne le sentiment d'être plus facile à appréhender : peut-être l'homogénéité sociale des quartiers américains contribue-t-elle à ce que, dans un quartier déterminé, la valeur des logements de même type soit très proche.

La réalisation d'une expertise technique de la qualité du logement n'est pas obligatoire non plus, mais elle est de pratique générale. Elle est faite par des " inspecteurs " qui sont regroupés au sein de trois associations professionnelles spécialisées, qui attestent de leur compétence et normalisent leur intervention. Les éléments pris en compte dans cette expertise sont assez approfondis : ils portent sur les fondations, les fenêtres et les portes, intérieures et extérieures, le toit, les gouttières, les cheminées, la ventilation, la plomberie, l'état de l'installation électrique, du chauffage et de l'air conditionné, des caves des murs et des sols, du rattachement à l'égout ou, le cas échéant, de la fosse septique…

L'inspecteur est un généraliste qui, s'il identifie un problème grave, oriente l'accédant vers un spécialiste. L'inspection donne lieu à un rapport, mais il est fortement conseillé à l'accédant d'accompagner l'inspecteur lors de l'expertise. Le coût moyen de cette inspection est également de l'ordre de 250 $. Pour éviter que les accédants les plus modestes ne veuillent en faire l'économie, le FHA/federal housing administration, dont le but est, à l'image de la SGFGAS en France, de garantir l'accès au crédit des ménages modestes, considère que la dépense engagée pour réaliser l'expertise technique s'ajoute aux fonds propres pour calculer le montant de l'apport personnel et juger si ce dernier est suffisant au regard des règles prudentielles. La vente est conclue sous la condition suspensive des résultats de cette expertise technique ; trois types de clauses se rencontrent :

  • le vendeur s'engage à réduire son prix du montant des travaux jugés nécessaires, dans la limite d'un plafond ;
  • le vendeur s'engage à conduire lui-même le montant des travaux jugés nécessaires, dans la limite d'un plafond ;
  • si le montant des travaux jugés nécessaire est trop élevé, l'acheteur est libre de se dégager.

A noter que l'expert a tendance à ne pas minimiser le coût des travaux, car sa responsabilité pourrait être mise en cause.

Quels enseignements peut-on en tirer pour la pratique française ? Tant les données sur le niveau de la " negative equity " en Grande-Bretagne que l'exemple des Etats-Unis montrent que les accédants n'ont pour leur part rien à attendre d'un recours à l'expertise en France. Il reste à savoir si les prêteurs, les cautions ou les porteurs d'obligations, l'exigeront.

En revanche, l'intervention d'une expertise technique, destinée à informer le particulier sur la qualité du bien qu'il envisage d'acheter et sur le coût des réparations qu'il risque d'avoir à entreprendre, serait très utile et ce quel que soit le type de financement mobilisé.

Reste qu'aucune instance n'est légitime pour l'exiger. Toutes les expériences - celle de l'Ademe avec le diagnostic thermique, comme les plus récentes conduites par certaines ADIL avec l'appui des CAF, des PACT ou de Qualitel - montrent que le consommateur français est réticent à payer, de son plein gré, une prestation de conseil ou d'expertise, qu'au demeurant aucun professionnel de la transaction n'est prêt à encourager. De surcroît, la dévalorisation de l'activité commerciale, fait qu'il n'est pas un professionnel en France, banquier, constructeur ou agent immobilier, qui ne souhaite se présenter avant tout comme un conseiller, financier, immobilier ou patrimonial. Si l'expertise technique devenait de pratique courante, elle pourrait n'être pas très coûteuse, les chiffres américains le prouvent, et elle ferait émerger une profession spécialisée. Mais ceci suppose le problème résolu, or il n'est pas évident que dans l'état actuel de nos habitudes, il puisse l'être sans le recours à la contrainte réglementaire.

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